Un secret se vend facilement : il suffit de vendre le sien en échange. [Nao Kanazawa/Agathe Lopez]

Vipères. Racoleuses. Agathe était à la Cafétéria, essayant désespérément d'avoir quelque chose à manger. L'heure du déjeuner était déjà passée, mais elle n'avait pas eu le temps. L'entraînement des Pom Pom Girls s'était fini plus tard que prévu.

- S'il vous plaît ! supplia l'adolescente.

Cette cantinière l'énervait, à dire qu'elle ne pouvait pas ! Elle aurait bien voulue lui arracher la tête, ou quelque chose de ce genre. L'élève soupira en se laissant tomber sur le comptoir. Elle mit sa tête dans ses bras, avant d'avoir une idée.

Un sourire se peint sur ses lèvres ; il était temps de faire savoir ses liens familiaux assez avantageux.

- Si vous né mé donnez rien, y'irais me plaindre à mon oncle, commença Agathe en roulant les "r". Vous savez, Fletcher Alexandré Grimford, mon oncle adoré. Ye souis soûre qu'il sé fera oune plaisir dé vous virer, finit la jeune fille avec un grand sourire.

À peine quelques minutes plus tard Agathe s'installait à une table, son plateau en main. Elle fit tourner sa fourchette entre ses doigts, la plantant ensuite dans son steak.

Le sang se mit à couler, remplissant son assiette blanche d'un liquide rouge connu mais redouté. Pourquoi était-il redouté ? Tout le monde a du sang ; pourquoi les gens redoutent-ils ce liquide ? « Le sang sauve des vies, nous permet d'exister et est à l'origine d'un grand nombre de choses... » Elle se permettait de penser ce genre de chose.

La porte de la Cafétéria s'ouvrit, mais la nièce du Directeur n'entendait rien. Elle était perdue dans ses pensées, mangeant distraitement sa viande. Elle devrait passer voir Tonton Fletcher, tiens. Tonton Fletcher... Agathe eut un sourire léger en se rappelant la naissance de ce surnom.

Elle était jeune, son oncle aussi. Elle devait avoir quatre ans, lui onze. Elle s'amusait avec lui, n'hésitant pas à lui tirer les cheveux pour jouer à la coiffeuse. Bien sûr, c'était souvent lui qui la coiffait ; elle ne coiffait pas souvent Fletcher, qui n'hésitait pas à lui crier dessus lorsqu'elle lui faisait mal. Il avait ce regard de tueur, celui qui fait peur à n'importe qui. Un bébé pourrait comprendre qu'il valait mieux se taire lorsque Fletcher faisait ce regard. Aucune parole, les sourcils légèrement froncés, les traits aussi durs que la pierre. C'est comme ça qu'il arrivait à faire taire les plus rebelles.

Agathe avait beau avoir quatre ans, elle savait qu'il ne fallait pas énerver son oncle. Et si cela arrivait, un câlin et un bisou suffisait.

« Le mot magique, Agatha. » lui avait-il dit un jour. « Ye souis désolé, Tonton Fletcher. » Il l'avait prit dans ses bras, lui fredonnant l'air d'une comptine espagnole. Oui, son oncle avait beau être jeune, il savait se débrouiller. Il savait gérer les crises, les cauchemars ou encore les rhumes.

Plus ils grandissaient, plus ils s'éloignaient. Fletcher s'intéressait aux garçons quand Agathe s'intéressait tout juste aux vêtements de marque. Il s'intéressait à des choses beaucoup moins catholiques lorsqu'elle commençait à s'intéresser au sexe opposé. Mais ils avaient quand même des points communs.

La danse. Fletcher adorait la danse, alors qu'Agathe trouvait ça bien, sans plus. Le dessin. Il avait été son professeur, un professeur chaleureux et drôle. Et enfin la musique. Oh, bien sûr, Lucky -le meilleur ami de son oncle- était plus doué en musique. Mais Fletcher chantait merveilleusement bien les chansons espagnoles. Allez savoir pourquoi ; sûrement sa voix grave et suave. Et quand sa mère l'accompagnait à la guitare... Il n'y avait pas de mot.

Le surnom "Tonton Fletcher" est arrivé vers ses sept ans. Son oncle en avait quatorze. Agathe avait rendue visite à Fletcher, au Texas. Ce n'est que maintenant qu'elle réalisait pleinement ce qu'elle avait interrompue ce jour-là.

Elle se souvenait avoir courue dans les escaliers, appelant son oncle. Elle l'appelait Alexandré, sûrement parce que c'était ce prénom qu'utilisait ses parents pour parler de lui. On faisait ça chez elle. On appelait Fletcher Alexandre.

Agathe avait courue dans les couloirs jusqu'à trouver la chambre de son oncle chéri. Elle était entrée sans frapper, comme à son habitude. « Tonton Alexandré ! » avait-elle dit. Il était avec Thomas, un ami.

Ils étaient tous les deux collés l'un à l'autre, front contre front. Agathe n'avait pas remarquée leurs bouches. Collées. Les deux garçons s'étaient reculés, l'un regardant ailleurs, l'autre aussi rouge qu'une tomate. Fletcher -toujours rouge- l'avait regardé, légèrement en colère.

Alors elle s'était approchée, était montée sur le lit et avait fait un câlin à « Tonton Alexandré ». Il lui avait embrassé le front, un peu moins rouge ; tout trace de colère avait disparue.

« Tonton Alexandre ? » avait commenté Thomas, un sourire moqueur sur les lèvres. « Aucun commentaire. » avait répliqué Fletcher.

Thomas avait explosé de rire, avant de passer sa main dans les cheveux d'Agathe et de lui proposer un nouveau titre pour son oncle : Tonton Fletcher. La petite avait approuvée, appelant maintenant Tonton Alexandre Tonton Fletcher.

Agathe soupira discrètement, entamant sa salade. Elle avait interrompu un baiser, voire plus. C'est en se mordant la lèvre qu'elle remarqua une autre fille. Elle avait l'impression que plusieurs années avaient défilées, même si ça devait seulement faire quelques minutes.

La Pom Pom Girl lui sourit et lui fit un signe, l'invitant à s'asseoir.

- Salout, commença t-elle. Ye souis Agathe Lopez. (Elle prévoyait déjà de dire qu'elle était la nièce de Fletcher, seulement pour voir la réaction de cette fille.) Y'ai seize ans, et toua ?

Elle voulait voir si cette fille allait changer de comportement en connaissant le lien qu'elle avait avec le Directeur. Agathe voulait savoir si elle était effrayée par son oncle.

Elle voulait savoir si « Alexandré » avait vraiment changé.